Il y a des semaines où l’on sent le sol bouger sous nos pas.
Où l’on comprend que le changement, ce n’est pas seulement une idée : c’est une secousse.
On m’a engagée pour ma soif de justice, pour ma volonté de faire différemment, pour ma confiance envers le peuple. Et ce peuple, aujourd’hui, répond présent : avec ses bras, ses idées, ses rêves.
Mais voilà. Quand on rend le pouvoir à ceux qu’on n’attendait plus, certains s’inquiètent de perdre leur place dans la lumière.
J’apprends à écouter, même quand on me demande de me taire. À marcher droit, même quand la route s’amincit. À croire que le silence ne doit jamais devenir notre langue commune.
Il paraît que les civilisations ne meurent pas d’un seul coup. Elles s’épuisent d’abord à ne plus s’entendre. Elles se fissurent sous le poids des certitudes, et finissent par confondre le bruit des égos
avec la voix du peuple.
Jared Diamond, biogéographe et penseur de l’effondrement, rappelle que les civilisations ne disparaissent pas seulement à cause de la nature, mais parce qu’elles oublient d’écouter ce qui les relie. Il naît de cinq fractures : le sol qu’on épuise, le climat qu’on nie, les voisins qu’on ignore, les marchés qu’on subit, et les réponses qu’on apporte (ou pas) à tout cela. Mais il ajoutait surtout une chose : l’histoire n’est pas un piège, c’est un miroir.
Et si, au Québec, ce miroir nous montrait autre chose que nos divisions ?
On s’épuise à débattre sans s’écouter,
à légiférer sans consulter,
à défendre la langue, la forêt ou l’école
comme s’il fallait choisir entre elles.
À force de chercher ce qui nous sépare,
on oublie ce qui nous tisse :
un désir têtu d’être debout, ensemble.
La controverse n’est pas l’ennemie. C’est la preuve qu’on tient encore à quelque chose. Mais il faut réapprendre à se parler autrement. Pas pour convaincre, pas pour tirer l’avantage du coin précieux et confortable de « sa couverte »… mais pour comprendre ce que l’autre porte de vrai.
Les enseignants qui réclament du temps, les infirmières qui réclament du souffle, les communautés autochtones qui réclament du respect, les nouveaux arrivants qui réclament de l’espace pour apprendre le français. Tous disent la même chose : on veut appartenir à un Québec qui prend soin.
Nous ne manquons pas d’intelligence.
Nous manquons de liens.
Nos réformes s’écrivent au singulier,
alors que le vivre-ensemble s’invente au pluriel.
Protéger la langue sans fermer les portes.
Réformer sans casser les dos.
Produire sans détruire.
Soigner sans compter.
Enseigner sans s’éteindre.
C’est possible.
Seulement si on accepte que le pouvoir ne réside pas dans la vitesse, mais dans la lenteur partagée des décisions justes, en écoutant les besoins des premiers concernés.
Certaines sociétés se sont redressées parce qu’elles ont su écouter leurs racines. Parce qu’elles ont compris que le futur n’appartient pas aux plus forts, mais aux plus solidaires. Nous avons, nous aussi, cette chance-là :
celle de ralentir avant de tomber,
celle de bâtir avant de fuir,
celle de choisir le nous avant qu’il soit trop tard.
Alors, oui, tout semble fragile.
Fragile ne veut pas dire perdu.
Cela veut dire : encore vivant.
Et tant qu’il y a du vivant,
il y a du possible.
Et moi, je veux y croire encore.
Je veux croire à un Québec qui débat sans détruire.
En laissant chaque voix porter sa couleur, sans exiger qu’elle s’efface pour entrer dans le chœur. À un milieu qui reconnaît la force des sentiers qui ne se laissent pas dicter par les formules convenues. Surtout celles qu’on sert pour éviter de nommer ce qui dérange.
À un milieu qui croit en la puissance de celles et ceux qui forgent ce que nous sommes. Je crois qu’on peut transformer les reproches en dialogue, et le doute en levier. Je ne m’excuserai pas d’être trop vivante. Parce que ce que j’attends de l’avenir, ce n’est pas qu’il m’apaise. C’est qu’il m’écoute: comme on écoute une société qui refuse de s’effondrer.
« Debout, même quand on me préfère silencieuse. »


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