Ma fille.
Ma douce épineuse.
Celle qui a vu flou avant de voir clair.
Née avec un petit trouble de la vision, elle a appris très jeune que le regard ne sert pas qu’à voir, mais aussi à ressentir.
Je lui disais qu’après l’opération, elle verrait à travers les murs comme une superhéroïne.
Elle m’a crue. Elle me dit qu’elle attend encore cette révélation !
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que j’avais raison.
Elle voit ce que bien des adultes refusent encore de regarder : la différence, la fragilité, la beauté du monde quand il se fissure un peu.
Ce petit défaut de manufacture a réveillé en elle un sens de la bienveillance et une soif de justice rares pour son âge.
Petite, elle s’entourait d’ami·es qui doutaient d’eux-mêmes.
Elle les aidait à se trouver beaux.
Souvent, elle s’épuisait à rallumer leurs lumières pendant qu’ils éteignaient la sienne.
Mais quand elle décidait que c’était assez, elle savait le dire : calmement, sans colère, avec respect… et sans jamais revenir en arrière.
Sa façon de tracer ses limites est une leçon de vie à elle seule.
Ma Rose s’est longtemps protégée derrière une carapace.
Vous savez… quand on aime, on tente trop souvent d’accepter l’inacceptable.
Peut-être que, malgré moi, je lui ai laissé ce legs générationnel.
Elle a accueilli longtemps son lot de maladresses — celles qui piquent sans faire exprès, celles qui laissent des traces parce qu’on ne s’excuse jamais vraiment.
Des attentes suspendues. Des promesses lancées trop vite.
Et la déception de comprendre, à force d’espérer, que certaines choses n’arriveraient tout simplement pas.
Alors, un jour, elle a lâché prise.
Elle a cessé de tendre la main.
Elle a choisi de rebâtir une relation avec celui qu’elle aimera toujours : autrement, sans rancune, sans attente, mais avec lucidité et respect.
Aujourd’hui, elle met ses limites.
Elle ne cherche plus à lui plaire, ni à se justifier.
Le temps qu’elle lui offre, c’est pour le vivre pleinement, simplement.
Je la regarde faire, et j’apprends.
Parce qu’à force de la voir se respecter, moi aussi j’ai fini par le faire.
Ma douce épineuse s’aime assez pour mettre ses limites.
C’est si inspirant.
Elle avance avec une clarté qui me sidère.
Si elle en est capable du haut de ses 16 ans, je peux bien le faire, moi aussi.
Je ne prétends pas avoir toujours bien fait.
Les dix-sept dernières années, j’ai choisi ma famille avant tout.
J’ai souvent placé mes propres besoins en veilleuse, croyant que c’était ça, aimer.
Mais aujourd’hui, j’assume enfin le rôle principal dans ma propre histoire.
J’accepte le personnage que mes enfants me prêtent : celui d’un rocher stable et immuable face aux tempêtes.
J’accepte. Sans discriminer le passé, pour l’honorer autrement.
J’ai cessé de modeler ma vie autour du désordre d’un autre, simplement pour épargner mes enfants de son chaos.
Et si certain·es y voient de la jalousie ou de la mauvaise foi, qu’ils sachent à quel point tout cela m’indiffère désormais.
La plus belle liberté, c’est celle qu’on s’autorise à incarner.
La mienne ne fait pas de vagues : elle s’installe tranquillement.
Elle me réconcilie avec ce que j’ai été, et me rapproche de celle que je deviens.
Je le dois en partie à elle, l’épineuse de ma vie.
Celle qui m’a appris qu’on a le droit de dire “Fuck OFF” sans haine, juste pour se choisir.
Elle pose ses mots sur du papier, comme d’autres dégainent leurs superpouvoirs.
L’écriture est, pour elle, une façon de remettre de la lumière là où ça craque.
Ses mots sont puissants.
Ils touchent, ils remuent, ils la font grandir.
Et je sais qu’ils l’emmèneront loin.
Parce que les petites victoires d’aujourd’hui sont souvent les plus grandes promesses de demain.
Fierté × 1000.
Si la pomme ne tombe pas loin de l’arbre…
dans son cas, elle a décidé de pousser sa propre forêt.

« On ne naît pas épineuse (sauf elle) on le devient. »

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